LA NATURE JURIDIQUE CANONIQUE DU GRAND MAGISTÈRE CONSTANTINIEN ET SES CONSÉQUENSES DANS L ACTUEL DIFFÉREND
© Par Maître Alfonso Marini Dettina, Docteur en droit public et en droit canon, Avocat à la cour
(A) Nature juridique de l Ordre constantinien et de son Grand magistère
1. L Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges est un ordre religieux et chevaleresque qui, selon la tradition, fut fondé au IVe siècle par l empereur Constantin le Grand. La plus haute de ses charges est le Grand magistère. Ayant été déjà l objet de différends, il est aujourd hui disputé par deux membres de la Maison de Bourbon des deux Siciles. Le Grand magistère étant réservé, par concession du Saint Siège à l aîné des Farnèse, l Ordre vient fait aussi qualifié d « ordre de famille ». Dans la suite des siècles, mais avec approbation pontificale, l Ordre constantinien finit par prendre les caractéristiques d une milice religieuse, reconnu comme une « Religion » au sens traditionnel du terme.
2. Les chevaliers pouvaient faire profession dans l ordre en prononçant des voeux approuvés par l Église, tels que ceux d obéissance, d observance des commandements de l Église catholique, de défense de la veuve et de l orphelin, des miséreux, les voeux de chasteté conjugale, ou de renoncement au mariage, d humilité, de charité, outre les autres vux particuliers/privés. Au cours du XVIIIe siècle, ces caractéristiques firent que l on attribua à l Ordre constantinien un caractère proprement religieux, au sens large et non pas de façon rigoureuse du fait que les ordres rigoureusement religieux exigeaient la profession des vux évangéliques de chasteté, de pauvreté et d obéissance[1]. Et c est ainsi que jusqu à la moitié du XXe siècle, l'Ordre adouba des chevaliers profès qui prononçaient des voeux d obéissance, de défense et de propagation de la religion catholique, de charité envers le prochain, de chasteté selon les divers états.
3. En vertu des dispositions pontificales pertinentes qui ne furent pas révoquées et ne s opposent pas à celles qui furent adoptées par la suite, le chevalier peut encore aujourd hui prononcer des vux au sein de l Ordre. Pour ce qui est ordres chevaleresques religieux, ou relevant de quelque manière que ce soit du Saint Siège, le Codex Iuris Canonici de 1983 ne dit rien. Ce vide a généré de nombreux doutes doctrinaux notamment sur l analyse de leur nature juridique. Certains estiment que les ordres relèvent avant tout de leur parti enlève droit (les constitutions), ce qui renvoie le Codex Iuris Canonici aux disciplines internes des personnes morales de droit ecclésiastique.
4. Ensemble de personnes et de biens ordonné à des fins qui touchent à la mission de l église, et que cette dernière a approuvé, l'Ordre constantinien possède en réalité les caractères d une personne morale ecclésiastique (les « personnes morales » et autres « institutions et corps juridiques » comme l on disait par le passé), ces personae canonicae que le canon 114 du Codex Iuris Canonici de 1983 définit comme universitates sive personarum sive rerum in finem missioni Ecclesiae congruentem, qui singulorum finem trascendit, ordinatae.
5. En revanche, pour tout ce qui ne relève pas lu du droit particulier, l on doit recourir aux normes du droit universel qui englobe sources toutes la droit canon, et le Codex. Sont donc principalement à prendre en compte les canons sur les personnes juridiques ecclésiastiques (Liv. I, Titres V et VI, Chap. II, cc 113-123), ceux sur les associations de fidèles (Liv. II, Titre V, cc 298-329), ceux portant sur les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostoliques (Liv. II, Part. III, cc 573-746), tout comme les canons afférents aux offices ecclésiastiques (Liv. I, Titre IX, cc 145-196). Sur la base de ces éléments, l on peut déduire que l Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges relève de la catégorie aujourd hui dénommée « personnes morales ecclésiastiques privées », ayant les caractères d une association privée de fidèles et ceux d un ordre religieux.
6. Poursuivant l analyse, il convient aussi de déterminer la nature juridique du Grand magistère. À cet effet, l on ne peut négliger le caractère religio-chevaleresque de l'Ordre. En conséquence, est essentiel l examen non seulement des Statuts tels qu approuvés par le Siège apostolique, des documents pontificaux relatifs à l'Ordre et des décisions qui en émanent, mais aussi des diplômes de nomination des chevaliers et des rôles tenus par les Grand maîtres. Prononcée le 15 juillet 1597 par le juge don Carlo Cappello, Lieutenant criminel près l auditeur général de la Chambre apostolique, la sentence qui confirme les droits du prince don Giovanni Andrea Angelo Flavio, stipule que le Grand magistère constantinien est un office[2].
7. Dans les diplômes de nomination des chevaliers de l Ordre émis au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, le Grand maître Angelo Maria Flavio Comnène est désigné comme Moderator Supremus, expression similaire à celle utilisée encore de nos jours en droit canon pour ce qui est de l office du Supérieur général des instituts religieux[3]. En leur chapitre II, les statuts adoptés le 23 mai 1705 par le Grand maître duc François Farnèse, et approuvés par le Siège apostolique le 12 juillet 1706, traitent de alcune cose, che riguardano l'ufficio di Gran Maestro [4] (certaines choses qui se rapportent à l office de Grand Maître).
8. De même, les documents pontificaux définissent-ils le Grand magistère du l Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges comme un office: le pape Innocent XII, en son bref Sincerae fidei du 24 octobre 1699, et le pape Clément XI en sa bulle Militantis Ecclesiae du 27 mai 1718 font état d un Officium, seu munus Magni Magistri seu perpetui Administratoris. Au sens d office ou de charge, munus indique que l ensemble des attributions et devoirs y afférent, et qui en font partie intégrante, est l un des éléments essentiels de l officium ecclésiastique. Par la bulle Militantis Ecclesiae sont aussi concédés au Grand maître les droits exclusifs de juridiction spirituelle et temporelle sur les biens de l Ordre et sur les individus qui y appartiennent.
9. En 1924, l avocat Ardizzoni, juge au Tribunal de Naples et membre de la Députation de l Ordre, observa qu en ce qui concerne la plénitude de la souveraineté de l Ordre, tant dans le bref que dans la bulle susmentionnés, les Souverains pontifes définissent la dignité de Grand maître comme étant un simple Officium, en dénomment le titulaire Administrator et établissent ainsi le mode par lequel seront conduits leurs rapports: Il Pontefice sta al Gran Maestro come la plenitudo Apostolicae potestatis sta a officium seu Administrator Militiate Auratae Constantinianae [5].
10. Par ailleurs, les statuts approuvés par le Siège apostolique reconnaissent le Grand magistère comme office institué de façon permanente. Le caractère sacré de l'Ordre, rappelé dans sa dénomination, sanctionné dans les statuts et mis en application de par ses activités, démontre que la finalité du Grand magistère est la poursuite du salus animarum, ce salut des âmes aux fins duquel l église a été est institué.
11. Des analyses précédentes l on retient que sont attribuées à la charge de Grand maître de l Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges les qualités inhérentes aux institutions ecclésiastique d érection pontificale. De fait, est office ecclésiastique toute charge, établie de façon permanente, soit de voie divine soit par disposition ecclésiastique, devant être exercée à des fins spirituelles: pour le canon 145, §1, du Codex Iuris Canonici de 1983, Officium ecclesiasticum est quod libet munus ordinatione sive divina sive ecclesiastica stabiliter constitutum in finem spiritualem exercendum.
12. De fait, l actuelle définition de l office ecclésiastique s inspire et reprend aussi bien des éléments remontant à la codification de 1917 qui, à son tour, se fondait sur la législation antérieure (au titre de laquelle proprium officium habere dicuntur, qui certo addicti sunt muneri[6]), que du Décret conciliaire Presbyterorum Ordinis[7]. Dans le cas du Grand magistère constantinien, il s agit en outre d un office ecclésiastique de création pontificale qui, ne requérant pas l ordinatio in sacris, a toujours été détenu par un laïc baptisé, ayant contracté mariage, choses certes peu fréquentes dans les siècles passés, mais légitime en raison du type même d office et de l'autorité qui le conférait[8].
(B) La succession par primogéniture
13. De manière générale, en vertu du principe de primogéniture, le Grand magistère constantinien fut toujours transmis à l aîné des enfants mâles du Grand maître défunt ou, à défaut de descendance directe, au mâle qui de par sa naissance était le plus proche du défunt. Néanmoins, il faut souligner que cette règle ne préjugeait en rien de l ordre de succession aux droits proprement dynastiques des familles qui dirigèrent l Ordre. Le principe de la succession à la charge de Grand maître par primogéniture, outre la sanction qu y donnèrent les Souverains pontifes, fut codifié dans les divers statuts qui régissaient la vie de l Ordre constantinien (ceux de 1190, les statuts dits « farnésiens » de 1705, ceux de 1934, etc). Et ce principe est de nos jours encore en vigueur.
14. En 1816, Marie Louise de Habsbourg, archiduchesse d Autriche et Duchesse souveraine de Parme, Plaisance et Guastalla, émettant des prétentions audit Grand magistère du fait de sa souveraineté sur les duchés de Parme et Plaisance, se proclama Grand maître de l Ordre constantinien. Du fait qu il s agissait là d une érection de nature spécifiquement et essentiellement étatique, les Bourbon des Deux Siciles finirent par tolérer ce « nouvel ordre ».
15. Avec l approbation expresse du Siège apostolique (approbation que l on rencontre en de multiples documents pontificaux) qui, en fait et en droit, dénonçaient les prétentions de l ordre créé à Parme, le Grand magistère fut toujours détenu, après la mort survenue en 1825 du Grand maître Ferdinand Ier, roi du Royaume des Deux Siciles, par les aînés jure sanguinis des Bourbons des Deux Siciles: s y succédèrent en effet les rois François Ier (1825-1830), Ferdinand II (1830-1859) et François II (1859-1894), puis le prince don Alphonse, comte de Caserte (1841-1934).
(C) L actuel différend
16. L actuel différend portant sur le Grand magistère constantinien tire ses origines d une scission de l Ordre advenue en 1960 par défaut d héritier mâle dans la lignée du Grand maître prince don Ferdinand Pie, Chef de la Maison royale de Bourbon des Deux Siciles. Ce prince était l aîné des dix enfants du prince don Alphonse, comte de Caserte. À cette date, tant les droits dynastiques de la Maison Royale de Bourbon des Deux Siciles, que la charge de Grand maître de l Ordre constantinien furent relevés par le plus proche héritier mâle jure sanguinis du défunt, l infant d Espagne prince don Alphonse (1901-1964); il était le fils de feu l infant d Espagne prince don Charles (1870-1949), frère puîné du comte de Caserte.
17. S y opposa le prince don Rainier (1883-1973), frère cadet en cinqième position dudit comte de Caserte, revendiquant pour lui les droits que son neveu relevait. Il soutenait que la succession aux droits de la ligne aînée éteinte aurait dû sauter les deux lignes précédant la sienne au motif que la deuxième ligne en aurait été exclue par suite d une renonciation remontant à 1900, les troisième et quatrième lignes étant éteintes.
18. Et c est des prétentions du prince don Rainier que le rameau, ou Ordre, qualifié de « napolitain » tire ses origines. Pour les tenants de cette thèse, c est par la renonciation précitée, dite acte de Cannes (qui n est autre qu un acte sous seing privé et n est donc pas juridiquement « authentique ») que l héritier en second du comte de Caserte, le prince don Charles, aurait renoncé « ad ogni diritto e ragione alla eventuale successione alla Corona delle Due Sicilie ed a tutti i Beni della Real Casa trovantisi in Italia ed altrove. » Selon l héritier en quatrième position, cette formule recouvrait aussi implicitement le Grand magistère constantinien. Feu l infant d Espagne prince don Alphonse fit opposition à la prétendue renonciation attribuée à son père, l estimant nulle et sans effet. A sa mort survenue en 1964, son fils S.A.R le prince don Carlos assuma donc la dignité de Chef de la Maison royale de Bourbon des Deux Siciles et la charge de Grand maître de l Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges.
19. Renonciation d un fils à l héritage à venir de son père alors encore en vie, l acte de Cannes de 1900 n est autre qu une type classique de pacte sur succession future. Bien entendu, toute analyse de cet acte ne peut être conduite qu à la lueur du droit alors en vigueur, droit applicable au cas de l espèce en vertu du principe tempus regit actum. Principe intrinsèque au droit romain, la prohibition des pactes successoraux était, tant dans la législation française que dans celle en vigueur en Italie au début du XXe siècle, une des règles fondamentales du droit des successions; c était aussi un principe essentiel de l ordre public interne (viventis non datur hereditas).
20. Tenus pour immoraux aujourd hui comme en 1900, les pactes successoraux sont dépourvus de valeur et d effets. L intention du législateur est que ne soit pas consacrée l immoralité d une attente successorale qui serait contractuellement fondée sur la mort d autrui (votum captandae mortis, o corvinum). En conséquence, le plein droit de quiconque à disposer de ce que la loi lui reconnaît jusqu à sa mort (ambulatoria est voluntas testantis usque ad vitae supremum exitum) est sanctionné et garanti, alors qu est censurée la tentation du dépouillement d un droit futur en vue d un avantage immédiat, quand bien même fût-il inadéquat.
21. En vertu des législations française et italienne, l interdiction des pactes successoraux était, et est encore, d application dite « nécessaire » en encore « d ordre public ». C est un principe de droit commun tant en France qu en Italie. Mais il est aussi reçu dans l appareil législatif canonique du fait du renvoi aux lois civiles qui, comme toute norme d ordre public, s appliquent irrévocablement à toute personne présente sur le territoire de l état où elles sont en vigueur. Principe fondamental de l ordre public, l interdiction du pacte successoral est dirimante tant pour les actes privés que pour ceux qui relèvent du droit public[9].
22. Ainsi donc, l acte de Cannes qui fut fait en violation d une norme française d ordre public pleinement en vigueur en 1900 doit être sanctionné au titre de ladite norme (et à l exclusion de tout autre) qui prohibait les pacte successoraux, les tenant pour nuls. Par ailleurs, se fondant expressément sur le caractère d « ordre public » de toute dévolution successorale, la jurisprudence a toujours veillé à strictement interdire les pactes successoraux et déclaré nulle toute convention qui aurait eu pour objet un bien pouvant être partie d une succession future, ou qui aurait pu avoir pour effet de bouleverser l'ordre successif[10]. L on peut aussi observer que la prohibition systématique des pactes successoraux, comme découlant de la violation induite des principes d ordre public, en vigueur en France et en Italie, avait été de pleine application dans l appareil juridique de ce qui fut le royaume des Deux Siciles, ancien État auquel l acte de Cannes renvoie de façon certes expresse, mais sans aucune conséquence proprement juridique. Car les traditions familiales de la Maison Royale de Bourbon des Deux Siciles (ou celles de l Auguste Maison de Bourbon) n attribuent non plus aucun effet à une « renonciation » du type de celle prononcée à Cannes.
23. En tout état de cause, à cet acte de Cannes font défaut toutes les obligations requises au titre des législations française, italienne et même de celle du royaume des Deux Siciles: sa nullité est donc certaine et diamante. D une part, la prétendue renonciation du prince don Charles est entachée d erreur et de violence du fait des pressions exercées sur lui par l opinion publique et les politiciens espagnols hostiles à son père, le comte de Caserte, pour avoir soutenu les Carlistes. Elle est en outre viciée comme conséquence de la présomption erronée d incompatibilité entre un statut à venir tel que prévu au titre de la Pragmatique du roi Carlo (qui s apprêtait à devenir Charles III d Espagne) en date du 6 octobre 1759. La Pragmatique de 1759 régit en effet exclusivement la succession à la couronne des Deux Siciles, l'Ordre constantinien n étant pas même mentionné. Comme l écrivit le 11 décembre de cette année-là le ministre Bernardo Tanucci aux chevaliers de l'Ordre, la cession du Grand magistère de l'Ordre constantinien fit l objet d un acte successoral solennel qui, à différence de la Pragmatique, reposait essentiellement sur le principe du droit d « aînesse légitime farnésienne » applicable au Grand maître lequel, bien que ne régnant plus à Naples et ayant accédé au trône d Espagne, avait retenu la suprême magistrature de l'Ordre sans pour cela encourir nulle incompatibilité. [11]
24. En outre, ayant été mise en exécution par le Traité de Naples du 3 octobre 1759, la Pragmatique n avait de facto plus d effet au début du XXe siècle (s il est vrai qu en droit international public pacta sunt servanda, ce ne peut être que lorsque rebus sic stantibus) c est uniquement di fait d un bouleversement radical de l état des chaque.
25. En son Real Dispaccio sur les Statuts qu il édicta le 8 mars 1796, Ferdinand IV réaffirma « qu en Sa Royale Personne Sacrée coexistent deux qualités bien distinctes, l une qui est celle de Monarque des Deux Siciles, l autre qui celle de Grand maître de l Ordre suprême, royal et militaire constantinien, lesquelles bien que s unissant glorieusement en lui-même, n en constituent pas moins deux différents souverainetés indépendantes, et de par les lois, les prérogatives et les privilèges, et surtout par la juridiction; à tel point que les Grands maîtres prédécesseurs ont établi un Code des Constitutions dénommé Statuts ». En 1877, l avocat Giuseppe Castrone, en son commentaire sur le Real Dispaccio précité, soulignait que « la souveraineté constantinienne n est pas un droit de la Couronne, mais s y trouve réunie du fait de l unicité de la personne qui est investie de l une et de l autre, sans toutefois que ne se confondent les deux personnes morales qui se cumulent en une unicité physique »[12].
26. De ce fait, toute tentative du summonter de défaut d une renonciation spécifique au Grand magistère constantinien qui découlerait de l acte de Cannes au motif d une prétendue union personnelle obligée entre le Trône et le Grand magistère constantinien [13] ne peut être tenue que pour vaine. C est néanmoins ce que tente de sanctionner la modification apportée en 1965 aux Statuts de l ordre dit « napolitain », modification par laquelle le Grand magistère constantinien serait attaché dorénavant « à la qualité de Chef de la Maison Royale de Bourbon des Deux Siciles » et ne découlerait plus du principe de l aînesse farnésienne. Rappelons encore qu en son Real Dispaccio précité, le roi Ferdinand IV avait formellement établi que l éventuelle dévolution sur une même personne de la qualité de Monarque et de celle de Grand maître n avait pu être qu occasionnelle, chacun des titres auxdites successions étant distincts [14].
27. Élément essentiel du pacte successoral en renonciation stipulé au titre de l acte de Cannes (et frappée de nullité), la notion juridique de « bien » n est applicable en rien de ce qui concerne l'Ordre constantinien du simple (mais dirimant) fait que ce dernier est une personne juridique ecclésiastique. De même est-elle sans rapport avec les successions au Grand magistère constantinien (office ecclésiastique) ou à la dignité de Chef de la Maison royale (patrimonialement indisponible) qui ne sauraient être objet de renonciation. Et c est là la raison pour laquelle au prince don Carlo échurent intacts les droits à l'éventuelle Couronne du Royaume des Deux Siciles (État né en 1816 de la fusion en « Deux Siciles » des royaumes de Naples et de Sicile), ces droits n étant d ailleurs pas objets de l acte en renonciation qui ne fait mention que d une « éventuelle succession à la Couronne des Deux Siciles ». Restèrent donc hors du pacte tous les droits inhérents à la Couronne de la Royaume des Deux Siciles, à commencer notamment par les titres de duc de Calabre et de duc de Noto qui avaient été créés par le roi Ferdinand Ier (premier souverain dudit Royaume) au profit de l héritier du trône par primogéniture et de l héritier de ce dernier.
28. Pacte successoral radicalement invalide, l acte de Cannes de 1900 revêt la forme d une renonciation aux effets suspensifs car conditionnés des évènements futurs et incertains. Contrairement aux affirmations de ceux qui soutiennent que cet acte n est pas assorti de conditions de validité expresses ou tacites,[15] une analyse textuelle met en lumière aussi bien les unes que les autres. Et de fait, c est la raison pour laquelle il fut prévu que cet acte serait « provisoirement conservé aux Archives de Notre Royale Maison pour valoir lorsque de besoin ».
29. Le premier élément objectif conditionnel de l acte était l union du prince don Carlo. Comme indiqué par avant, une telle condition entache l acte de nullité tant au regard des normes française et italienne que « napolitaines » qui prohibent toutes les pactes successoraux stipulés en vue de mariage.
30. Suivent d autres éléments conditionnels essentiels, suspensifs de la validité de la prétendue renonciation, mais qui ne se réalisèrent jamais: que don Carlo fût devenu roi d Espagne; qu en outre, eussent été rétablis les royaumes de Naples et de Siciles (les Deux Siciles); que la Couronne eût été offerte à don Carlo (et non à d autres membres de la Maison).
31. Voilà pourquoi cette « renonciation » de Cannes, invalide et frappée de nullité ex tunc, n a jamais pu avoir aucun effet matériel ou de droit. Par conséquence induite, la nullité du pacte successoral affecte aussi tous les actes qui visent à le mettre en uvre: un testament postérieur dont le pacte est une condition sera illicite de par la violation de l'ordre public que constituent le respect des conditions stipulées.[16] Tel serait le sort du testament et/ou du ou des codicille(s) olographe(s) de don Alfonso, comte de Caserte (décédé en 1934), qui furent avancés en 1964, volontairement reproduits partiellement en 2002, dans lesquels, dit-on, le testateur aurait exclu son fils don Carlo de la succession des biens personnels sis à Caprarole, au motif que ce dernier avait renoncé à cet héritage[17].
32. Pour mémoire, l on retiendra que de par le contenu du pacte successoral de Cannes de 1900, et de celui du testament et/ou du codicille qui eût donné effets audit pacte (ces actes étant tous frappés de nullité), tous les enfants du comte de Caserte héritèrent de leur père. Ce fut notamment le cas de l indemnisation obtenue en 1941 de l état italien pour ces biens de Caprarole, comme des droits et obligations découlant de la transaction entamée par suite des recours alors en suspend déposés auprès du Ministère du trésor et de celui des finances. Les biens, droits et obligations ci-dessus furent l objet d une division pacifique entre tous les héritiers, y compris l infant d Espagne don Carlo. L on observe d ailleurs que dans le dossier de la transaction (1940-1943) conservé aux Archives nationales de Rome, l infant don Carlo est qualifié de « Prince royal de la Maison de Bourbon Deux Siciles et héritier du comte de Caserte »; il était reconnu comme tel par ses frères et surs [18].
33. Tous ces faits et documents contredisent l affirmation selon laquelle l infant d Espagne don Carlo aurait renoncé à l héritage de son père « en respect précis des dispositions testamentaires et des dernières volontés du comte de Caserte, en 1934 ». En réalité, l infant d Espagne don Carlo, fils puîné en second du comte de Caserte, à l ouverture de la succession paternelle, accepta l héritage en vertu duquel l actif et le passif seraient divisés entre les frères et les surs. À la mort survenue en 1949 de l infant d Espagne don Carlo puis, en 1964, suite au décès de son fils l infant d Espagne don Alfonso, l héritage fut accepté à son tour par le fils de ce dernier, SAR l infant d Espagne don Carlos de Bourbon des Deux Siciles.
34. Si, comme le soutiennent ceux qui affirment son existence, le prétendu testament de don Ferdinando Pio, décédé en 1960, fils aîné du comte de Caserte, contenait des dispositions venant en exécution de l acte de Cannes, ledit testament serait entaché de la même nullité. Par ailleurs, si les Statuts de l Ordre constantinien tels qu ils étaient en vigueur entre 1900 et 1960 admettaient, certes, la désignation testamentaire d un Grand maître, cela ce ne pouvait survenir que par défaut d héritier légitime, fait qui ne se vérifia jamais.
35. La nullité et l absence d effets de l acte de Cannes, tout comme l impossibilité de toute incidence sur la succession au Grand magistère constantinien, sont en outre confirmées par le droit canonique. Lors de l évocation ci avant de la nature juridique dudit magistère, il a été démontré qu il s agissait là, tant en 1900 qu aujourd hui, d un office ecclésiastique d érection pontificale. Et c est à ce titre que le Grand magistère constantinien est régi par des Statuts approuvés par le Saint Siège (les derniers amendements y furent apportés en 1919 par Benoît XV). En 1900, il ne pouvait être l objet d une renonciation que par quiconque en était pro tempore investi, seulement pour un juste cause selon la règle de la primogéniture masculine, sauf cas d inaptitude. D éventuelles renonciations en faveur d autres personnes eussent requis l approbation du Souverain pontife, comme cela s était vérifié en 1623, en 1699 et en 1759.
36. Par ailleurs, la prétendue « renonciation » de Cannes ne mentionne pas l'Ordre constantinien. Elle ne traite d aucun office, notamment de type ecclésiastique l est le Grand magistère constantinien. Elle est le fait d une personne qui n étant pas investie de l office de Grand maître, le droit canonique ne pouvait renoncer audit office. En droit canon, cette « renonciation » est dépourvue de toute selon valeur du fait même qu elle ne se fonde pas sur une cause juste et proportionnée. Enfin, il faut encore observer qu elle ne fut jamais acceptée par le Souverain pontife.
37. Toutes les analyses juridiques conduites au regard des dispositions pertinentes des Statuts de l Ordre constantinien en vigueur en 1960 établissent la légitimité de la succession au Grand magistère constantinien de l infant d Espagne don Alfonso de Bourbon des Deux Siciles, tout comme de celle de son fils, SAR l infant d Espagne prince don Carlos, advenue en 1964.
38. Quant à l ordre constantinien dénommé « napolitain », il ne saurait être celui qui fut fondé par l empereur Constantin le Grand. Tout au plus, pourrait-il s agir d un ordre de chevalerie, nouveau et distinct, bien qu homonyme de l antique Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges.
(D) Reconnaissance et hypothèse de conciliation
39. Lorsqu en 1960 éclata le différend, le Siège apostolique qui a reconnu l Ordre constantinien en de multiples documents dont le plus important est la bulle Militantis Ecclesiae donnée en 1718, évita de se prononcer explicitement sur la légitimité ou l illégitimité des prétentions respectives. Néanmoins, dans l avenir, évaluant le cas de l espèce à la lumière du droit canon, il pourrait se prononcer en faveur de l un ou de l autre ou reconnaître l existence de deux ordres désormais distincts, ou encore être d avis qu il s agit des deux branches d un seul et même ordre, et accueillir ainsi les exigences respectives.
40. L Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges conféré par SAR l infant d Espagne don Carlos de Bourbon des Deux Siciles jouit, outre la validité canonique, de la reconnaissance des institutions nationales espagnoles.
41. Cette reconnaissance, tout d abord coutumière, a été expressément sanctionnée par l actuel Chef de l état, SM le roi Juan Carlos Ier, qui a reçu et fait siennes les réponses unanimes données en 1984 dans les divers avis du Ministère de la justice, de l académie royale de droit et de législation, du Ministère des affaires étrangères, de l institut de « Salazar y Castro du Conseil supérieur de la recherche scientifique », et du Conseil d état, avis juridiquement et largement motivés au termes desquels SAR le prince don Carlos est reconnu comme Chef de la Maison de Bourbon des Deux Siciles, et comme titulaire du Grand magistère de l Ordre sacré et militaire constantinien de Saint Georges. En 1994, SM le roi Juan Carlos Ier conféra à ce prince la dignité d infant d Espagne.
42. Dans ce différend, les tentatives de la composition n ont jamais eu de cesse. Bien qu étant particulièrement délicate, la question de l exercice du Grand magistère constantinien n est néanmoins pas le plus important, les chevaliers constantiniens ne devant-ils pas avant tout respect les finalités religieuses, d assistance et de bonnes uvres, encore communes aux deux réalités équestres ?
43. Si l on voulait éviter d éventuelles divisions ultérieures, un utile point de départ serait, d une part, la reconnaissance de la nullité et de inefficacité induite tant de la « renonciation » de Cannes que des actes qui en découlent, et d autre part l'acceptation d un état de fait avec engagement à trouver une solution en droit.
NOTES
[1] Filippo Musenga, Dissertazioni critiche su i passi più controversi, che si incontrano nella vita di Costantino il Grande coll'aggiunta di Appendici pertinenti al Sacro Real Ordine dè Cavalieri Costantiniani di San Giorgio, V. Flauto Impressore dell Ordine Costantiniano, Naples 1770, pp. 269, 88-89.
[2] Francesco Malvezzo, Privilegi imperiali e confermazioni apostoliche a favore della Famiglia Angela Flavia Comnena come Gran Maestri della sagra Religione de Cavalieri Angelici Aureati Constantiniani sotto il titolo di San Giorgio, e regola di San Basilio quali si ritrovano tutti autentici in mano del Sig. Gio. Andrea Angelo Flavio Comneno Prencipe di Macedonia, Gran Maestro, Evangelista Deuchino, Venise, 1626, p. 207.
[3] Rivista Araldica (Rivista del Collegio Araldico) n. 11, nov. 1927, pp. 507-511.
[4] Filippo Musenga, Regole e Statuti del Sacro Militare Ordine Costantiniano di S. Giorgio, Vincenzo Flauto Impressore dell'Ordine Costantiniano, Naples 1770, p. 26.
[5] Ernesto Ardizzoni, Della natura del S. M. Ordine Costantiniano di S Giorgio, Stab. Tip. Francesco Giannini & Figli, Naples 1923, pp. 17-20.
[6] Giovanni Devoti, Ius Canonicum, G. Ferretti, Rome 1837, Tome II, p. 215.
[7] Pour le canon 145, §1, C.I.C. 1917, Officium ecclesiasticum lato sensu est quodlibet munus quod in spiritualem finem legitime exercetur; stricto autem sensu est munus ordinatione sive divina sive ecclesiastica stabiliter constitutum, ad normam sacrorum canonum conferendum, aliquam saltem secumferens participationem ecclesiasticae potestatis sive ordinis sive iurisdictionis, alors que pour P.O. No. 20b, par office ecclésiastique, intellegi debet quodlibet munus stabiliter collatum in finem spiritualem exercendum .
[8] Francisco Xav. Wernz et Petri Vidal expliquaient en 1928, haud raro etiam Ordinibus minoribus vel maioribus initiatus, manifeste sequitur omnes irregulares etiam ex defectu vel aliis prohibitionibus canonicis a statu clericali exclusos indirecte ab officiis quoque ecclesiasticis saltem licite obtinendis arceri (Ius Canonicum, Université pontificale grégorienne, Rome, 1928, Tome II, pp. 217 et s.). Nicolaus Garcia, en 1618, admettait que ex privilegio apostolico beneficium laico conceditur De Beneficiis ecclesiasticis amplissimus et doctissimus tractatus, F. Prato, Venise, 1618, I, pp. 1 et suiv. 28 à 35). L on doit aussi retenir qu en vertu du C.I.C. de 1917, il était de règle qu à tout office fût lié un bénéfice; c est pourquoi les normes qui régulaient l attribution et la charge du bénéfice valaient aussi pour l attribution et la perte des offices ecclésiastiques.
[9] De très nombreuses normes de droit privé (notamment dans le droit de la famille ou celui des successions) sont d ordre public et, partant, les personnes ne peuvent y déroger. C est notamment en droit public qu il ne peut jamais, ou presque jamais, être dérogé à ces normes. Voir Salvatore Foderaro, Manuale di Diritto Pubblico, C.e.d.a.m., Padoue, 1977, pp. 40-42; Maria Vita de Giorgi, I patti sulle successioni future, Casa Ed. E. Jovene, Naples, 1976, p. 87, note 29; Attilio Guarneri, Ordine Pubblico, in Digesto delle Discipline Privatistiche, XIII, U.t.e.t., Turin, 1995, pp. 154 et ss.
[10] En français dans le texte.
[11] Voir Giuseppe Castrone, Delle speciali caratteristiche dell Ordine Costantiniano, G. De Angelis e figlio, Naples 1877, pp. 22-23, note 31.
[12] Castrone, op cit., pp. 70-71.
[13] Ettore Gallo, Il Gran Magitsero Costantiniano del Sacro Militare Ordine Costantiniano di San Giorgio, Il Minotauro, Rome 2002, p. 65.
[14] Ce concept est repris aussi dans le Memorandum du ministro Nigra du 13 mars 1861 où l on lit que le Grand maître de cet « Ordre Militaire religieux » fut « incidemment Souverain de Naples » (G. Maresca, Sull'Ordine Costantiniano di S. Giorgio, Rivista Araldica, n. 2, fév. 1960, pp. 41-44).
[15] Gallo, op cit., p. 63.
[16] Voir de Giorgi, op. cit., p. 92
[17] Gallo, op cit., pp.127-151, reproduit le procès verbal de remise du testament olographe du comte de Caserte, rédigé le 12 juin 1934 près le Consulat général d Italie à Nice, mais pas la partie finale du codicille daté du 24 (ou 26) février 1932, ni la partie initiale de la lettre à son fils don Ferdinand Pie datée du 23 janvier 1928.
[18] Par l acte de transaction du 28 février 1941, d un côté les Bourbon renoncèrent à une action intentée par le comte de Caserte contre l état italien en 1897 (une requête en déclaration de nullité de la vente des biens et droits du duché de Castro et de l état de Ronciglione faite par le duc Ranuccio II Farnèse en 1649 en faveur de la Révérende Chambre Apostolique, et en restitution desdits biens et droits) et cédèrent à l état la moitié du palais Farnèse de Caprarole qu ils détenaient, avec les constructions annexes, les terrains et meubles; de l autre côté, l état italien accepta la renonciation légale de la partie adverse, ainsi que la cession définitive en faveur dudit état de la moitié des biens précités, abandonnant l action intentée par les ministères du trésor et des finances en 1909 contre le comte de Caserte (aux effets de prononciation de l obligation de l abandon définitif, au profit du Domaine, du palais Farnèse de Caprarole), et le versement à la partie adverse d une indemnité de 3 millions de lire pour règlement de tout droit. Voir Archivio Centrale dello Stato, Rome, Ministère de l intérieur, Direction générale de l administration civile, Division II, Assistance et oeuvres publiques, 1940/42, Enveloppe 111, 26093.2; Conseil d État, Section III, anciennement Finances, Avis, Session 25.2.1941, n. de rôle 276; Cour des comptes, Décrets du Ministère des finances en publication, 1941, Registre 5, feuille 95. |